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Amy Beach
mélodies
On va commencer par un petit jeu : connaissez-vous beaucoup de femmes compositeurs ? L'inévitable Clara Schumann, Sofia Goubaïdoulina, Mel Bonis, la médiévale Hildegarde de Bingen, les sœurs Boulanger, et après ? Ce disque Naxos, édité dans la passionnante collection American Classics, a le mérite de nous présenter une femme-compositeur américaine (faut-il dire compositrice ou compositeure comme nos amis canadiens ?) qui tient une place importante dans l'histoire de la musique outre-Atlantique du début du XXe siècle et qui, sans révolutionner les genres qu'elle a traversés (de la song à la musique sacrée en passant par la musique pour piano et les pièces concertantes), a laissé des empreintes encore très vieille Europe – notamment des traditions de la liturgie chrétienne et du Lied allemand.
Amy Beach (1867-1944) ne s'est pas contenté d'importer des recettes européennes compassées, elle est aussi une figure de transition, à plus d'un titre, un symbole passionnant de l'émancipation de la femme par l'art. Jeune pianiste virtuose, prodige médiatique de sa province du New Hampshire, Amy Beach se bat d'abord contre sa famille, puis contre son époux le Dr. Beach, pour imposer ses vues artistiques. Elle sait mener de front une carrière de femme de notable, de compositeur, de concertiste (bien que le jaloux Dr. Beach, mort en 1910, voit d'un mauvais œil ces concerts qui rendent publics le talent de son épouse). Figure de transition surtout car elle assure le passage entre la Second New England School des compositeurs Horatio Parker ou Edward MacDowell et la modernité d'un Charles Ives ; mais pas au delà, car elle jugera par exemple que Rapsody in Blue de Gershwin (qui signe pourtant l'émergence d'une musique classique proprement américaine par l'usage de la syncope empruntée au jazz) est une œuvre « vulgaire et décadente ».
Katherine Kelton a sélectionné trente-six songs sur les cent dix-sept qu'a laissés le compositeur tout au long de sa carrière – chansons marquées par un style postromantique, influencées à la fois par Schubert, Schumann, les chants traditionnels écossais, et même par le gospel. Comme le souligne la mezzo-soprano, « Amy Beach concevait une bonne chanson comme une réponse musicale, inspirée et créative, à un texte, combinant intellect et émotion ». Si les textes choisis par la créatrice ne s'inscrivent pas toujours dans la quintessence poétique de son temps (elle va parfois chercher ses poèmes dans des revues, ou les écrit elle-même, bien qu'elle sache parfois honorer de ses notes les mots d'un Robert Burns ou d'un William Black…), elle s'attache toujours à en permettre la compréhension parfaite et la totale valorisation. On ne s'attardera pas trop sur les grands succès qu'elle a rencontrés au début du XXe siècle, avec des chansons un peu ennuyeuses comme The Year's at the Spring, mais on cherchera son bonheur dans le labyrinthe de ce corpus, au détour de pièces moins connues telles que Le Secret Op.14 n°2, d'après un poème français, qui n'est pas sans rappeler certaines mélodies de Fauré, dont la fameuse Dans la forêt de septembre.
On trouvera aussi plaisir à la ravissante Ariette Op.1 n°4 qu'elle dédia à son époux, à Dearie Op.43 n°1, ou encore à May Flowers Op.137, une émouvante comptine pour la fête des mères, un peu désuète, composée en 1932 par une vielle dame qui n'était manifestement plus en phase avec les métamorphoses politiques et esthétiques de l'Amérique de la Grande Dépression puis du new deal.
Il n'y avait assurément pas de meilleur guide que Katherine Kelton (auteur du livret, disponible en anglais et en allemand) pour nous faire découvrir cet univers. Le mezzo-soprano américain a plusieurs fers au feu : soliste au sein de la chorale de Santa Fe Desert et d'une pléiade d'autres formations musicales américaines, universitaire spécialiste d’Amy Beach (Ph. D s'il vous plait ! ), enseignante… Inutile de préciser qu'elle maîtrise parfaitement ce répertoire, et qu'elle n'en est pas seulement l'interprète mais la prosélyte passionnée.
FXA